Comment les Brasseurs de France surmontent-ils la crise sanitaire ?

Le 06/10/2020 à 15:04 par La rédaction

La période de confinement que les Français ont connu du 17 mars au 11 mai 2020, a inévitablement impacté de nombreux secteurs industriels. Nous nous sommes rapprochés de Maxime Costilhes, délégué général du syndicat professionnel Brasseurs de France, pour comprendre les impacts du Covid-19 sur les brasseries françaises et connaître les mesures mises en place pour soutenir cette profession.

 

Maxime Costilhes, délégué général
de Brasseurs de France.

Quel est votre parcours professionnel ?

Maxime Costilhes : J’ai débuté ma carrière professionnelle à travers deux secteurs d’activité. J’ai d’abord travaillé dans le monde de la politique, en occupant différents postes en cabinets ministériels, puis auprès de Bruno Lemaire, ancien ministre de l’Agriculture. Ensuite, j’ai travaillé pour le secrétariat général de la SNCF, et plus précisément sur des sujets de défense du secteur et de promotion du produit. Je suis un amoureux des bonnes choses, ce qui est un critère non négligeable dans le secteur de la brasserie, où j’occupe depuis le 1er septembre 2017 le poste de délégué général au syndicat Brasseurs de France.

 

Pouvez-vous nous présenter le syndicat Brasseurs de France ?

M. C. : Brasseurs de France est un syndicat qui existe depuis 1878 et qui a initialement été créé à l’initiative des malteurs et brasseurs. À cette époque, les brasseurs réalisaient également le maltage (étape de torréfaction de l’orge de brasserie), mais les deux professions se sont scindées dans le courant du 20e siècle, les malteurs ayant aujourd’hui leur propre syndicat. Au début du 20e siècle, nous comptions plus de 3 000 brasseries diverses et variées sur tout le territoire français, mais la profession a connu un vingtième siècle compliqué, notamment en traversant les deux guerres mondiales : nous comptions seulement vingt-cinq brasseries en 1985. Aujourd’hui, nous référençons deux mille brasseries, avec un rythme de création d’une nouvelle brasserie par jour, ce qui fait de la France le premier pays de l’Union européenne en nombre de brasseries. Nos grandes missions sont celles de la défense et de la représentation de la profession, mais également de service et d’accompagnement auprès de nos adhérents sur les questions quotidiennes : réglementation, fiscalité, social, environnement, etc. Enfin, nous avons aussi un rôle de promotion de la bière. Avec 350 adhérents, nous représentons 98 % du volume de production réalisé en France.

 

En quoi la crise sanitaire a-t-elle touché de plein fouet le secteur de la brasserie ?

M. C. : Les impacts de la crise sanitaire ont été très lourds pour le secteur de la brasserie, comme pour de nombreux autres secteurs. Avec le confinement et les décisions de fermetures administratives du gouvernement, près de 35 % de nos débouchés se sont fermés. Les cafés, hôtels, restaurants et discothèques représentant 20 points, et l’événementiel 15 points. Il faut noter que de nombreuses brasseries, qui sont pour la plupart des TPE-PME, existent aujourd’hui grâce à la tenue de certains événements avoisinants. Autrement dit, certaines entreprises ont été fortement exposées suite à l’annulation d’événements d’envergure. Aussi, il faut noter que la crise sanitaire s’est abattue sur les brasseurs au pire moment, au démarrage de la grande saison. En effet, la consommation de bière est toujours plus importante du mois de mars à celui d’octobre, et les brasseries anticipent toujours la production. Cela a eu des impacts très forts sur les trésoreries.

 

Parmi ses adhérents, Brasseurs de France compte 96 % de TPE et PME, le reste étant des ETI.

Quel est le bilan de la situation post-confinement ?

M. C. : Le secteur de la brasserie est un secteur qui connaissait avant la crise une croissance importante. Nous voyons pour les microbrasseries un taux de croissance moyen de 20 à 25 % par an, et nous observons une croissance structurelle de près de 3 % en volume. Les entreprises ont beaucoup investi pour s’équiper en chaudronnerie ou en robinetterie. Il s’agit d’un secteur d’investissement important et les brasseurs ont besoin de trésorerie. Avant la crise, le marché évoluait dans le bon sens. À la sortie du confinement, aux alentours du 1er juin, la situation était clairement catastrophique dans le secteur. Les mois de juin, juillet et août seront, je l’espère, salvateur pour une partie des entreprises. La saison s’est plutôt bien passée, notamment dans les régions côtières, ce qui aura permis aux brasseries de reconsolider leur trésorerie. Quoi qu’il arrive, l’année 2020 sera cependant une mauvaise année.

 

Certains brasseurs ont dû détruire des stocks de bière qui avaient dépassé la date limite d’utilisation.

Y a-t-il eu une destruction des stocks, et donc une perte financière importante ?

M. C. : La bière est un produit vivant, qui peut donc vieillir. Historiquement, nous savons que ce n’est pas une difficulté de faire vieillir de la bière sur une longue période. La difficulté réside dans la promesse qui est faite aux consommateurs. Avec le temps, la bière évolue, et c’est d’ailleurs pour cela que la brasserie respecte ce que l’on appelle des dates limites d’utilisation. Au-delà de ces dates, la bière est toujours consommable, sans danger pour la santé (au-delà des risques santé liés à l’alcool), mais le produit ne sera plus conforme aux habitudes. La profession ne pouvait en aucun cas se permettre, dans un contexte très difficile, de proposer une bière de sortie de confinnement aux saveurs différentes sous le même étiquetage. Il faut aussi noter que les fûts en inox sont consignés, et que certains brasseurs ont donc fait le choix de détruire de la bière qui avait dépassé la date limite d’utilisation pour réutiliser ces contenants. Le coût de la main-d’œuvre et le coût de production n’ont alors à aucun moment été rentabilisés. À cela s’ajoute également le fait qu’une partie des brasseries ont arrêté leur production pendant la période de confinement pour préserver leur trésorerie : à la sortie du confinement, ces brasseries ont alors été confrontées à une rupture de stock car elles n’avaient pas suffisamment anticipé. C’est une double peine pour les brasseurs français…

 

Les aides de l’État ont-elles été suffisantes pour soutenir le secteur ?

M. C. : Nous pouvons dire que l’État a été plus qu’à la hauteur en ce qui concerne les aides, et il faut ici souligner son rôle majeur d’accompagnement. Aujourd’hui, nous sentons moins inquiètes les entreprises qui ont eu recours au Prêt Garanti par l’État (PGE), aux fonds de solidarité ou encore aux autres aides RSI. Sans ces aides, nous aurions très certainement perdu beaucoup d’entreprises. Nous espérons que l’État continuera à soutenir les entreprises sur le long terme, notamment sur les questions des loyers et des assurances, qui représentent des charges lourdes. Nous attendons toutefois encore avec impatience la confirmation du dispositif de soutien spécifique de la filière brassicole.

 

Les salles de brassage ont, pour certaines, été mises à l’arrêt durant la période de confinement.

Quels combats avez-vous menés pour soutenir les brasseurs ?

M. C. : Nous nous sommes battus dès le départ pour faire évoluer les dispositifs. Nous avons notamment mené des actions pour faire évoluer le PGE et le rendre accessible au plus grand nombre. Pendant un moment, les cafés, restaurants, hôtels, discothèques et distributeurs de boissons n’avaient aucun accès au PGE étant donné que ce secteur était classé en difficulté avant la crise sanitaire. Cela avait des impacts directs sur la trésorerie des brasseurs puisque certains n’honoraient pas leurs factures. Le gouvernement a finalement accepté notre demande. Nous nous sommes également battus pour mettre en place un plan de relance spécifique au tourisme et à la culture. Enfin, nous avons demandé un décalage des délais de remboursement des PGE, dans la mesure où on ne peut pas demander à des entreprises en difficulté de rembourser en octobre des emprunts contractés en mars. Nous n’avons pas fait de demandes irréelles, et nous avons obtenu ce que nous avions demandé.

 

Concrètement, quelles opérations avez-vous menées ?

M. C. : Le secteur de la brasserie est très solidaire, entre toutes les entreprises, de toutes tailles. Trois opérations ont été mises en place pour aider la profession. D’abord, nous avons lancé une opération « J’aime mon bistrot », qui a très bien fonctionné. L’objectif était d’encourager les consommateurs à pré-réserver de la consommation au sens large. Nous avons porté ce projet avec nos adhérents et quelques entreprises, avant que l’opération ne se généralise. Cela a permis d’apporter de la trésorerie aux cafés, restaurants et discothèques. Aussi, nous avons créé un élément de soutien entre brasseurs. Avec l’aide de Mimosa, une plateforme de crow-funding spécialisée en agroalimentaire, nous avons invité les brasseurs en difficulté à nous solliciter en fournissant un dossier d’aide. Cette opération nous a permis de pérenniser l’activité d’une quinzaine de brasseries. Enfin, nous avons lancé un site internet,
www.biere-tourisme.fr, sur lequel nous avons référencé toutes les brasseries qui allaient ouvrir pendant l’été. En conclusion, nous pouvons dire que nous sommes passés d’une situation catastrophique à une situation mauvaise. L’année 2020 sera-t-elle acceptable en fin d’année ? L’avenir nous le dira.