Fortement consommateur en eau, le spécialiste de l’impression sur tissu TIL contrôle ses effluents grâce à un système innovant.
On a toujours besoin de plus petit que soi ! Basée à Villefranche-sur-Saône (69), la société TIL (Teintures et Impressions de Lyon), filiale du groupe Deveaux a décidé de mettre en pratique cette maxime. Au début de l’année, l’entreprise s’est engagée avec une jeune start-up spécialisée dans la biosurveillance de l’eau, Viewpoint. Son innovation ? Utiliser de petits invertébrés aquatiques pour détecter dans ses eaux usées des traces de micropolluants. C’est un enjeu important pour TIL qui dispose d’une station d’épuration des eaux usées (Step) et est donc soumise à des normes strictes en matière de rejets dans la nature.
Le spécialiste de l’impression pompe et rejette aujourd’hui près de 300 000 m3 d’eau par an dans la Saône. « Nous sommes en net progrès par rapport à notre consommation d’il y a dix ans, explique Jean-Michel Bertrand, directeur de l’usine. Le passage à l’impression jet d’encre numérique a permis de diviser par deux nos besoins en eau. » Cette eau est essentielle au procédé industriel, notamment pour laver les tissus après l’impression. En sortie d’usine et avant traitement, elle se charge de soude, d’acide, de colorants et aussi d’azote sous forme d’urée. Autant de polluants que l’entreprise doit traiter avant de pouvoir rejeter l’eau.
Deux ans de tests
Si les effluents étaient autrefois traités par la Step municipale, le durcissement des règles a poussé la société à se doter de sa propre station d’épuration. L’installation a coûté la bagatelle de 3 millions d’euros, dont 1,5 M€ sont financés par l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée. La gestion de la Step est assurée par Veolia en contrepartie d’un budget annuel de 500 000 euros par an.
C’est pour s’assurer de la qualité des eaux usée en sortie de sa station, que TIL a décidé de participer il y a un peu plus de deux ans à un programme de tests proposés par Viewpoint afin de mettre au point son système ToxMate, dans le cadre d’un projet européen. Sur le site de la teinturerie, ce dispositif se présente sous la forme d’une boîte d’environ 2 mètres de haut et un mètre de large, situé en aval de la station d’épuration. Didier Neuzeret, P.-D.G. de Viewpoint, ouvre la boîte. « Elle doit normalement toujours rester fermée pour éviter de fausser les résultats, précise-t-il. Sauf lorsqu’il faut renouveler les organismes qui nous servent à mesurer la qualité de l’eau. » Sur les parois, 48 cellules, contenant chacune un organisme, tapissent l’intérieur du boîtier. Plusieurs caméras sont braquées vers ces aquariums miniatures.
Des micro-organismes à la loupe
Cette technologie, co-développée avec le laboratoire d’écotoxicologie de l’Inrae, dérive en continu une partie des eaux traitées et entre en contact avec 16 répliques de trois espèces d’invertébrés aquatiques conditionnées qui peuplent naturellement les cours d’eau européens. Il s’agit de sangsues, de gammares (des petites crevettes) et de radix (des escargots d’eau). Entre 30 et 60 litres d’eau transitent toutes les heures dans les panneaux des cellules. Le comportement locomoteur des micro-organismes est analysé en temps réel par des logiciels de traitement d’images et permet d’avertir instantanément les gestionnaires des eaux en cas d’événement anormal de dégradation de la qualité de l’eau, en présence notamment de micropolluants. « Lorsque la qualité de l’eau est mauvaise, les organismes ressentent un inconfort. Un peu comme si nous étions enfermés dans une pièce qui se remplit peu à peu de fumée, précise Didier Neuzeret. Ils adoptent alors des mouvements s’apparentant à un schéma de fuite. Ce comportement est d’autant plus prononcé que la concentration en particules nocives est forte. »
Les micropolluants sont des molécules qui, en quantité infinitésimale ou par effet combiné, peuvent porter atteinte à l’environnement, à la biodiversité ou à la santé. Le nombre de molécules potentiellement présentes dans les eaux est considérable. Et aucune technologie n’est réellement capable de les détecter directement sur site. Même la sonde UV254 habituellement utilisée pour suivre les teneurs en matières organiques dans les eaux usées se révèle moins efficace. ToxMate, par son approche biologique, va directement mesurer les effets de ces micropolluants sur les organismes aquatiques qui ont naturellement une forte sensibilité.
TIL a choisi de s’équiper de sa propre station d’épuration.Une maintenance atypique
Après deux années de tests concluants, TIL a donc choisi de poursuivre sa collaboration avec Viewpoint. Un contrat de maintenance a été signé et les organismes sont renouvelés tous les mois. « Nous les péchons sur le site de la Cressonnière du Bugey, explique Thimothée Cavanna, technicien en écotoxicologie pour Viewpoint, responsable des opérations de maintenance sur les sites couvert par la start-up. Avant de les intégrer, nous accoutumons progressivement les organismes à leur futur milieu afin d’éviter tout choc osmotique qui pourrait leur être fatal. » Au bout d’un mois, les gammares, radix et sangsues partent en retraite dans un aquarium dédié dans les locaux de Viewpoint.
Pour TIL, ce partenariat avec la jeune pousse s’est révélé un atout majeur cet été, alors que les restrictions d’eau se faisaient pressantes. « Fin août, la Saône était à 1/10e de son étiage, se souvient Jean-Michel Bertrand. Il y a eu un arrêté préfectoral pour arrêter de pomper l’eau. » D’autant plus que la baisse du niveau de l’eau entraîne une plus grande concentration des polluants. La situation pouvait se révéler critique pour TIL et condamner l’entreprise à stopper son activité le temps des restrictions. Jean-Michel Bertrand a donc monté un dossier pour obtenir une dérogation et l’autorisation de pomper 50 % des besoins de l’usine. « Dans ce dossier, le système ToxMate a été un élément important pour justifier que nous étions environnementalement neutre par rapport à nos rejets dans le fleuve », a pointé le dirigeant. L’argument a fait mouche, car l’entreprise a pu obtenir cette dérogation fin août, puis être autorisée à pomper 75 % de ses besoins en septembre avec le retour des pluies.
Une anecdote qui souligne que les investissements sur le volet environnemental se révèlent souvent payants à moyen terme.