Baptiste Gendron, fondateur de Yelhow : « La valorisation des compétences est nécessaire à leur transmission dans l'entreprise »

Le 04/03/2023 à 13:43 par La rédaction

Spécialiste en gestion des compétences et fondateur de la start-up Yelhow, Baptiste Gendron revient pour Le Journal des Fluides sur les enjeux qui attendent les industriels et sur les moyens de préserver leurs savoir-faire.

 

En tant qu’expert dans le domaine de la gestion de compétences, vous pointez du doigt une perte de qualifications dans l’industrie qui s’est accentuée ces dernières années. Selon vous, quelles en sont les causes ?

Baptiste Gendron : C’est une tendance qui trouve sa source dans plusieurs phénomènes structurels. D’un côté, il y a le « papy-boom », c’est-à-dire le départ à la retraite massif d’une population qui a passé de nombreuses années dans l’entreprise et donc détentrice d’un grand nombre de savoir-faire. Pas de surprise : ce phénomène est aujourd’hui particulièrement bien documenté et les grands groupes tentent d’anticiper. Il y a un autre phénomène structurel, lié quant à lui à une modification profonde du marché du travail et qui est plus récent. Les salariés sont de plus en plus mobiles entre les entreprises. Il est désormais naturel de changer d’emploi plus souvent. Pour donner un exemple, les salariés entre 30 et 35 ans vont passer environ cinq ans dans une entreprise et ensuite partir. Les compétences partent, voire se perdent. C’est un problème que rencontrent aujourd’hui de nombreuses PME. Elles se posent la question : « Comment dois-je recruter désormais pour assurer les opérations ? »

Pensez-vous les entreprises suffisamment préparées pour faire face à la combinaison de ces deux tendances ?

B. G. : Comme je l’ai mentionné précédemment, le phénomène de départ à la retraite est quelque chose que les entreprises essaient d’anticiper. Mais en combinant cela avec la plus grande mobilité des salariés, les savoir-faire s’étiolent. Par exemple, si Pierre, un salarié qui a travaillé quinze ans dans l’entreprise, quitte l’usine, la tendance actuelle est de se dire que ce n’est pas grave. Mais concrètement, l’entreprise va mettre jusqu’à deux ans à récupérer le savoir-faire qui a été perdu.

Application Alex permettant d’identifier, valoriser et développer les compétences des opérationnels.

Pouvez-vous nous donner une définition de ce que vous désignez par savoir-faire ? S’agit-il uniquement de connaissances techniques ?

B. G. : Non, cela ne regroupe pas que les compétences techniques. C’est une approche plus simple et plus large. Le savoir-faire c’est avant tout la capacité à savoir gérer le quotidien d’une usine, ainsi que tous les cas exceptionnels, aux limites du quotidien. C’est par exemple la capacité à répondre à la question « Comment je règle cette machine quand il fait plus de 40 °C dans l’atelier ? ». Cela n’arrive pas tous les jours, mais si personne ne peut apporter une réponse pertinente, c’est là que l’industriel se rend compte qu’il a perdu des compétences. Et cela s’accompagne d’une autre forme de prise de conscience : cette compétence, désormais perdue, n’a souvent jamais été formalisée et valorisée. C’est un point important selon moi : ce travail de valorisation des compétences est nécessaire à leur transmission. Aujourd’hui, c’est une culture qui n’existe quasiment pas.

Est-ce une culture que les industriels sont perdue ou qu’ils doivent aujourd’hui acquérir ?

B. G. : Il faut mettre en œuvre un changement de fond. Ces dernières décennies régnait plutôt la culture du « savant ». Les salariés ne souhaitaient pas transmettre leur savoir, car ils avaient la crainte de ne plus être unique et donc de perdre de la valeur aux yeux de l’entreprise. C’est une culture qui est encore présente dans les sociétés. Le changement culturel qui doit intervenir au niveau de la stratégie de gestion des compétences, c’est de se dire que ce n’est plus la compétence individuelle qui prévaut, mais celle de l’équipe et les objectifs de celle-ci. Et derrière, l’entreprise. C’est une mentalité qui n’est pas à l’œuvre. C’est sur ce point que des actions de conduite du changement doivent être menées pour introduire fondamentalement ces notions-là.

Les entreprises sont-elles égales face à cette problématique ?

B. G. : Il y a des secteurs déjà sensibilisés et certains industriels ont mis en place des systèmes. L’automobile, par exemple, a instauré via la norme ISO/TS 16949 de partager et d’afficher les matrices de polyvalence à l’équipe. Elles permettent d’établir des objectifs et des back-up de compétences pour s’assurer que les lignes de production ne vont pas s’arrêter. L’automobile s’est penchée dessus parce que nous sommes ici dans des configurations où l’arrêt coûte plusieurs milliers d’euros la seconde. A contrario, dans de nombreuses PME cette culture n’a pas encore fait son chemin. Elles sont encore beaucoup dans la valorisation personnelle. Ce que l’on constate, c’est que les entreprises y viennent malheureusement le plus souvent par la douleur, lorsqu’une situation apparaît, mettant en lumière un défaut de compétence.

L’application permet de visualiser en un coup d’œil l’ensemble des niveaux des opérateurs de l’usine et de cibler les efforts de formations.

Comment favoriser cette transition ?

B. G. : En apprenant à valoriser les savoir-faire ! Cela doit passer par plusieurs étapes : tout d’abord il faut déjà cartographier les compétences et les nommer. Cela peut sembler trivial mais c’est la base de cette culture de la transmission des savoirs. Un salarié peut connaître beaucoup de choses, mais pour l’entreprise, il faut absolument poser ces compétences sur le papier. Cela nécessite de répondre à certaines questions simples du type « Ce problème survient, qui dois-je consulter au sein de l’entreprise ? » Ce travail permet de mettre les projecteurs sur ce que la personne apporte à la société. C’est une reconnaissance du savoir-faire. Et celle-ci doit s’accompagner d’une gratification financière. Malheureusement, cela est actuellement très peu valorisé et les salaires sont aujourd’hui davantage indexés sur l’ancienneté que sur les compétences. En faisant cela, on permet d’objectiver les savoir-faire et de les rendre publics.

L’objectivisation des compétences est donc la clé pour assurer la pérennité des savoir-faire dans l’entreprise ?

B. G. : Oui. D’une part, elle permet d’identifier ce dont les équipes et l’entreprise ont vraiment besoin. Par ailleurs, la cartographie des compétences permet d’identifier les savoir-faire importants et d’y associer un niveau de salaire en accord avec les conventions collectives. Cette méthode devient une source hyper objective afin de classer les gens en termes de rémunération. C’est un sujet qui intéresse de plus en plus les ressources humaines. Dans la plupart des projets que nous avons menés chez Yelhow, nous intervenons au départ sur des sujets liés à la production puis, au bout de quelques mois, les Ressources humaines viennent se greffer au projet et y puisent de l’information. Grâce au travail d’identification et de valorisation des compétences clés, il est possible de savoir rapidement « qui sait faire quoi » dans la société. Cela permet de rattacher les Ressources humaines au terrain.

Concrètement, comment les industriels peuvent s’organiser la transmission ?

B. G. : La formation joue naturellement un rôle essentiel. Le travail de cartographie et d’objectivisation dont nous avons parlé permet de déterminer les compétences clés pour l’entreprise, et dont la transmission est prioritaire. Il faut officialiser le rôle de tuteur/ formateur au sein de la société qui permet au savoir-faire de perdurer. Là encore, il faut une reconnaissance de ce rôle en interne, qui passe également par une gratification financière. Les formateurs vont aider à transmettre les savoir-faire essentiels. Pour cela, il faut définir un plan stratégique des compétences que l’on souhaite préserver et mettre en place des routines de formation.

Yelhow propose des outils informatiques dédiés à cette vision du management des compétences. Comment s’intègrent-ils dans ces stratégies ?

B. G. : Le besoin en compétences des entreprises n’est pas une chose figée. Il est dynamique. Les outils numériques servent justement à gagner en flexibilité dans la gestion des compétences. Auparavant, les matrices de polyvalences et les plannings de formations étaient réalisés sur Excel. Outre une ergonomie pas toujours optimale, cet outil n’intégrait pas les savoir-faire. Nous avons donc mis en place un outil sous la forme d’un SaaS (software as a service), fonctionnant dans le cloud. Il est la colonne vertébrale des compétences pour l’entreprise. En structurant les informations et en les rendant disponibles à tous via smartphone, tablette et PC, nous permettons aux responsables qualité, de production et Ressources humaines, ainsi qu’aux salariés, de déterminer les besoins de compétences de demain et d’identifier, grâce à des informations visuelles, les manques. La solution que nous proposons est avant tout un outil afin de mettre en œuvre une nouvelle méthodologie que nous pensons essentielle à la transmission des compétences. Ces dernières sont et seront toujours la véritable force de l’industrie.