Pipelines: Comment entretenir ces kilomètres?

Le 08/04/2010 à 14:58 par La rédaction

Les pipelines acheminent les fluides, qu’ils soient liquides ou gazeux, sur de longues distances. Le plus souvent enfouies sous la terre, ces canalisations incontournables de par leur poids économique, assurent des débits importants en toute discrétion. Si cette caractéristique est appréciable aux yeux de beaucoup, se pose alors la question de la maintenance de ces moyens de transport…

Au-delà de son apparence de simple tuyau, le pipeline est une canalisation particulière qui contribue aux enjeux économiques d’un pays. Selon la nature du fluide transporté, les professionnels distinguent l’oléoduc dans le cas de pétrole, du gazoduc dans le cas de gaz. D’un point de vue technique, il n’y a pas de différence entre un oléoduc et un gazoduc. Néanmoins, en France, les gazoducs appartiennent à un réseau maillé national dont chaque branche est gérée à l’échelon régional et national, en équilibre avec le reste du réseau. Tandis que les oléoducs, en général, vont d’un lieu de stockage portuaire (Fossur- Mer, Marseille, Bordeaux, Nantes…) vers des raffineries, et ensuite vers des stockages de produits raffinés, ou directement vers de la distribution. Les tubes composants les pipelines sont en Acier alliés à haute résistante (aciers X60, X65 ou X70 selon les critères métallurgiques). En intérieur, l’acier est en contact direct avec le liquide ou le gaz, sauf sur les tubes de gazoducs grandes dimensions où il y a bien souvent un revêtement interne en « Epikote », une marque déposée à l’instar de Sopalin. Cette peinture très fine du genre époxy, de couleur rouge en général, sert à s’affranchir des éventuels risques d’hydrogènes sulfurés, bien qu’il n’y ait pas de sulfures sur le méthane actuel. Effectivement, la combinaison de Sulfures et d’éventuelles traces d’humidité donne de l’acide sulfurique (H2S), ce qui peut découper l’acier de l’intérieur.

Risques d’accidents

Globalement, le réseau français est en bon état. Il y a, malgré tout, de temps de temps de mauvaises surprises. À titre d’exemple, l’année 2009 a été une « Annus Horribilis », comme aurait dit Elisabeth II, la Reine d’Angleterre. Le milieu pétrochimique a été pas mal secoué entre la violente explosion du site TOTAL de Carling en juillet, les trois accidents de suite au mois d’août à la raffinerie TOTAL du Havre, et l’accident de SPSE qualifié de « véritable désastre écologique » par Chantal Jouanno, secrétaire d’Etat à l’Ecologie. Il s’agissait d’une fuite de 4 000 m³ de pétrole d’un oléoduc, reliant Fossur- Mer à l’Allemagne, dans la réserve naturelle de Coussouls de Crau (Bouches-du-Rhône). Il y a plus longtemps, en 1992, la rupture d’une canalisation située à 8,5 m de hauteur dans la raffinerie TOTAL de La Mède avait marqué les esprits. Elle avait laissé échapper un nuage gazeux d’hydrocarbure qui s’était enflammé dans l’unité de transformation des distillats en carburants. Six techniciens avaient trouvé la mort.

Différentes causes

La cause première est la fuite, avec pollution de l’environnement, ou bien risque d’explosion dans certaines configurations mettant en jeu des gazoducs. Egalement les explosions par accumulation dans les endroits confinés. Et puis il y a également le risque humain. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, beaucoup de sites ont été remaniés par crainte. Chez GDF, toutes les stations ont été remaniées de manière à ce que la partie où travaille le personnel soit séparée de la partie critique. Les bâtiments on été conçus autrement pour faire face à toutes éventualités. Le classement SEVESO, pour les risques industriels, ne concerne quasiment que des entreprises chimiques ou pétrochimiques. Enumérant 3 niveaux de dangerosité, il n’a pas été conçu par rapport aux attentats mais aux risques environnementaux… mais le risque environnemental peut être une conséquence d’un attentat. Néanmoins le pipeline est un moyen de transport qui reste un des plus économiques – par rapport aux camions ou aux trains – et des plus sécuritaires. À partir du moment où celui-ci est bien conçu et bien enterré, il peut fonctionner pendant 40 ou 50 ans, voir plus, en véhiculant en permanence les fluides. À condition de l’entretenir…

Épreuve sous pression

 Afin de garantir la bonne tenue du réseau, il est nécessaire de réaliser une épreuve sous pression tous les 5 ou 10 ans. En quoi cela consiste-t-il ? À la fin de construction d’un ouvrage, on le remplit d’eau et on le teste en pression à, en général, 150 % de la pression d’exploitation à laquelle il va être soumis, que ce soit un oléoduc ou un gazoduc. Les gazoducs, eux, sont ensuite vidangés et séchés avant d’être mis en œuvre. En cas de scénario catastrophe, comme il peut arriver des dégâts à l’environnement, les tests sont effectués avec de l’eau. Lourd de conséquence, ces tests impliquent d’arrêter l’exploitation plus longtemps, trouver de l’eau en quantité suffisante et la retraiter ; or la loi sur l’eau limite ce genre de chose. Selon Francis Janowski, directeur d’« Action plus Service », société spécialisée dans l’entretien des pipelines, « l’épreuve sous pression est, incontestablement, d’une précision redoutable. Par contre, pour schématiser, comme pour le contrôle technique d’une voiture, cela prouve la validité de l’engin au moment où vous le contrôlez, mais cela ne prouve pas qu’il n’y aura pas d’incident technique 10 minutes après la sortie du garage ».

La lutte contre la corrosion

Tout est fait pour lutter contre la corrosion. À la conception, le revêtement extérieur est fabriqué avec du polyéthylène. À la pose, la corrosion est contrôlée, pour être ensuite vérifiée en permanence à la cadence de 6 mois ou un an, à l’aide d’un dispositif de protection cathodique. Des anodes sont posées sur les pipelines. En effet, le phénomène de corrosion est un phénomène de translation d’ions, en général d’une anode vers une cathode. Pour éviter la translation d’ions entre le tuyau et son environnement, le tuyau est raccordé à des anodes et un courant micro-tension lui est injecté. Néanmoins, la protection cathodique n’est que le complément d’un revêtement efficace. Si jamais il y a un défaut dans le revêtement, soit parce qu’il a été arraché à la pose, soit parce qu’il a frotté sur un caillou et qu’il a été percé, les ions vont se diriger vers le champ de l’anode, et c’est l’anode qui va être consommée au lieu que soit l’acier du tuyau. Ces tuyaux sont installés avec des prises extérieures avec lesquelles on vérifie le potentiel en réalisant des relevés à intervalle régulier. « Lorsqu’on s’aperçoit que le potentiel a chuté en dessous d’une certaine valeur, cela veut dire que l’anode c’est consommée et qu’il faut donc réinjecter un peu plus jusqu’à temps qu’il n’y est plus d’anodes. Cela peut prendre 10, 15 ou 20 ans », explique Francis Janowski. En plus de çà ont été développés des systèmes de contrôle appelés « DCVG ». L’injection de courant est enregistrée avec de cours intervalles de coupures, ce qui permet de voir les défauts du revêtement. En ce qui concerne l’intérieur du tuyau, « un tube qui achemine en permanence, quoiqu’il transporte, en principe ne s’érode pas », lance Francis Janowski. Certains peuvent être « pourri » de l’intérieur à cause du choc pétrolier des années 70 et du ralentissement de production des années 80. Ceux-ci ne fonctionnent plus qu’à 20 ou 30 % de leurs capacités de conception, ce qui est très mauvais car comme l’évoquent les lois physiques concernant les écoulements hydrauliques, lorsque les vitesses d’écoulements sont correctes le régime est laminaire et rien ne se dépose, tandis que lorsque les vitesses sont basses, il risque d’y avoir des dépôts… dans les points bas.

Le pistonnage

Enfin, pour nettoyer ces kilomètres de pipelines, il reste la méthode du pistonnage à intervalle régulier à l’aide d’un racleur. Ce dernier est passé en production, c’est-à-dire lorsque le fluide de production (pétrole ou gaz) est véhiculé à l’intérieur des canalisations. Très souvent le racleur circule à une vitesse comprise entre 1 et 2 m/s, « mais nous pouvons monter en nettoyage à 3 ou 5 m/s, ce qui produit plus de turbulence derrière. En effet, je considère qu’il y a deux actions dans le nettoyage : décrocher les incrustés, et une action de transport qui se fait grâce à la turbulence. Plus celle-ci est importante, plus on transportera loin », détaille Francis Janowski. Il existe différents modèles de racleurs. Ceux qui sont sans aucun équipement de mesure servent, soit à nettoyer les canalisations, soit à isoler les uns des autres différents produits incompatibles. Les racleurs d’isolement sont généralement équipés de coupelles particulières assurant à la fois leur propulsion et leur étanchéité. Les racleurs de nettoyage sont équipés de brosses, il en existe une grande variété pouvant traiter des problèmes spécifiques : élimination de paraffines, d’oxydes, de sédiments,… Pour ce qui est des racleurs instrumentés on distingue plusieurs types répondant à des finalités d’inspection différentes. Il existe ainsi, principalement, des racleurs de contrôle de la géométrie des tubes, des racleurs de détection des pertes de métal, des racleurs de contrôle d’étanchéité et des racleurs spécialisés dans la recherche de fissures longitudinales. Certains, comme c’est le cas lorsqu’il s’agit d’inspecter des gazoducs, sont équipés d’une caméra.

Les racleurs instrumentés

 Un racleur instrumenté se compose généralement de 4 sections fonctionnellement distinctes : une unité de traction qui assure l’entraînement du racleur par le fluide transporté, une alimentation électrique embarquée, un système de mesure et un système d’acquisition et d’enregistrement des mesures. Ces différents systèmes sont regroupés dans des éléments reliés entre eux par des cardans assurant la flexibilité de l’ensemble. Cette flexibilité est nécessaire pour que les racleurs puissent évoluer dans les coudes des canalisations à inspecter. Plus le diamètre de la canalisation est faible, plus il est nécessaire d’étirer les racleurs en longueur et de multiplier le nombre d’éléments afin d’embarquer tous les modules. Ceci conduit à des racleurs pouvant atteindre 6 mètres de longueur. Enfin les racleurs sont équipés d’une ou plusieurs roues codeuses qui permettent d’enregistrer la distance parcourue dans la canalisation afin de positionner ultérieurement les signaux relevés. Ils sont aussi souvent équipés d’un pendule qui permet de connaître l’orientation de l’outil à tout instant.

Les principales technologies de mesures

 Il existe un grand nombre de principes physiques utilisés pour les racleurs instrumentés. Voici quelques-unes des technologies les plus courantes : - Les racleurs de contrôle de géométrie sont généralement équipés d’une couronne circulaire déformable qui s’appuie sur la face interne du pipeline. Lorsque celui-ci n’est pas parfaitement circulaire, la couronne se déforme. Cette déformation est enregistrée ainsi que la position du racleur et permet, après dépouillement, de localiser et dimensionner les déformations (ovalisation, enfoncement) du tube. - Le contrôle de l’étanchéité : la technologie la plus utilisée pour détecter les fuites éventuelles utilise un enregistrement du bruit à l’intérieur du pipeline. Cet enregistrement se fait dans une bande de fréquence caractéristique d’un écoulement de fluide sous pression à travers un orifice et permet ainsi de détecter et localiser une telle fuite. - La recherche de manques de métal : il s’agit là de l’usage essentiel des racleurs instrumentés dans un objectif de lutte contre la corrosion. Deux grandes familles d’outils existent à l’heure actuelle s’appuyant sur deux technologies distinctes : 1°) La fuite de flux magnétique : cette technologie s’appuie sur de puissants aimants placés dans le racleur. Le flux magnétique longitudinal ainsi généré circule dans la paroi du tube entre les deux pôles de l’aimant. Il est calibré de sorte à saturer celle-ci et qu’une partie de ce flux circule dans le fluide et à l’extérieur du tube. Des capteurs sont placés contre la paroi du tube et baignent dans ce flux. Lorsqu’un manque de métal est présent dans la paroi des tubes, le flux magnétique doit s’échapper un peu plus de la paroi pour pouvoir circuler et les capteurs réagissent à cette augmentation de la fuite de flux magnétique (Magnetic Flux Leakage ou MFL). Réagissant à des évolutions de signaux magnétiques, cette technologie donne un dimensionnement relatif des pertes de métal par rapport à l’épaisseur supposée des tubes. 2°) Les ultrasons : cette technologie utilise les temps de parcours d’une onde ultrasonore (perpendiculaire à la surface des tubes) dans le fluide transporté et le métal des tubes pour évaluer la distance entre le capteur et les faces internes et externes des tubes sur lesquelles l’onde se réfléchie partiellement. La différence de ces deux distances permet d’avoir une lecture directe de l’épaisseur du tube mais elle est très sensible à la propreté interne des tubes. Cette technologie nécessite que le fluide transporté puisse transmettre l’onde ultrasonore. Elle est donc inapplicable en milieu gazeux. Ainsi, pour inspecter un pipeline de gaz avec de tels outils, il est nécessaire d’introduire un batch de liquide (eau ou hydrocarbure) dans le pipeline ce qui peut poser de très importants problèmes d’évacuation de ce liquide et de séchage des conduites. Des technologies existent permettant un couplage dit sec pour utiliser les ultrasons en milieu gazeux, mais elles sont complexes, fragiles et relativement peu employées.

La recherche de fissures longitudinales

 Ce domaine d’application des racleurs est de développement récent. On retrouve là encore les technologies MFL et ultrasons. Les fissures longitudinales sont des défauts plans, très étroits et qui correspondent à des enlèvements de matière très faibles. Elles sont de ce fait invisibles pour les racleurs classiques de recherche de pertes de métal.

- Le MFL Transverse : pour détecter les fissures longitudinales on utilise des champs magnétiques orientés perpendiculairement à l’axe des tubes de façon à ce que le flux magnétique « voit » le flanc des fissures. Celles-ci provoquent alors des réductions suffisantes de la section de la paroi métallique pour générer une augmentation détectable de la fuite du flux magnétique. Ces outils permettent actuellement la détection des grandes fissures ou des fissures très ouvertes (espacement important entre le deux flancs de fissure). - Les ultrasons : le faisceau ultrasonore utilisé pour la recherche de fissures est incliné ce qui lui permet de se réfléchir sur les faces des fissures. L’analyse des échos ainsi générés permet de localiser et mesurer les fissures. Ces outils sont capables de détecter et dimensionner de petits défauts mais nécessitent une grande redondance. Le dépouillement en est alors particulièrement long et coûteux. Pour les mêmes raisons que précédemment, cette technologie est d’une application très complexe dans les pipelines transportant du gaz.

Là où le racleur est inefficace

Il existe, sur les canalisations, des accessoires un peu particuliers : les joints isolants. Il y en a normalement un à chaque extrémité, ou, éventuellement, à chaque sortie de terre, par exemple dans le cas de station intermédiaire. Ce sont des dispositifs qui permettent d’isoler les courants électriques vagabonds qui peuvent être préjudiciables, la corrosion étant un transfert d’ions, tout courant vagabond est susceptible, si le revêtement n’est pas bon, ou si le tube n’est pas bien isolé, de grappiller des ions métallurgiques. Pour y remédier, il faut installer des joints isolants. « Ces assemblages ont été testés avant d’être posés, il y a 30 ou 40 ans, mais ils restent quand même des assemblages mécaniques. Les joints vieillissent, subissent des mouvements de fatigue. De plus, en sortie de terre, ils souffrent de différentes contraintes : thermiques, mécaniques, etc. On c’est aperçu que sur des pipelines où tout allait bien, les seules pièces qui lâchaient étaient les joints isolants, ce qui entraînaient des fuites », raconte Francis Janowski. Le racleur instrumenté ne sait pas voir cela. Seule l’épreuve sous pression est capable de repérer ce genre de problème à l’origine de fuites.

Produits surfactants : le petit plus

Enfin, si cela ne suffisait pas en terme de maintenance, il existe aussi des produits surfactants fabriqués par l’industrie chimique américaine qui peuvent être injectés pour limiter la corrosion. Malheureusement, plus la ligne est longue, plus l’opération devient délicate dans la mesure où ces produits se saturent très vite et ne sont déjà plus efficaces à la moitié du chemin. Quoi qu’il en soit, il reste derrière tous les moyens d’entretiens que nous avons évoqués plus haut, les campagnes de réparation. De quoi dormir sereinement à côté des pipelines. O.R.